Les émotions, un pont entre le corps et l’esprit ?

Par Miriam Gablier /
Tableau : molecules-of-emotion de Jolanta Anna Karolska  

La science ne cesse d’amener de l’eau au moulin des thérapies psychocorporelles. Les recherches du Dr Candace Pert sur les « molécules des émotions » tentent de montrer combien, en un sens, le corps et l’esprit ne font qu’un. 

Bien que la tendance évolue doucement, notre société continue à penser en termes de clivage entre le corps et de l’esprit. Les moyens thérapeutiques conventionnels peinent à concevoir le corps et la psyché ensemble.

D’un côté la médecine, clairement matérialiste, s’occupe du corps comme d’une chose mécanique, certes complexe, mais purement biologique. Sa psychiatrie conçoit la psyché comme un épiphénomène de l’activité neuronale. Or de nombreux philosophes, tel que David Chalmers et son « difficile problème de la conscience », soutiennent que cette position n’est pas tenable : la conscience ne peut être la production du cerveau.

De l’autre côté, le champ de la psychologie, héritier de quelques résidus idéalistes, reconnait une sorte d’autonomie de la dimension psychique mais tend du coup, à traiter les états d’âme indépendamment du corps.

Ces dernières décennies de nombreuses recherches scientifiques, dont les travaux du docteur Candace Pert (USA), montrent que cette vision dualiste doit être pour le moins questionnée, sinon dépassée – ce que signalent les thérapies psychocorporelles.Nous ne pourrions ainsi ni rabattre la conscience sur le corps, ni totalement séparer les deux.

Le Dr Pert, chercheuse en pharmacologie, auteure de Molecules of emotion et de plus de 250 publications scientifiques, a montré que notre physiologie et notre psychologie sont constamment en train de s’influencer et de co-créer des états d’être. Bien que le docteur Pert soit loin d’être la seule à s’aventurer sur ce pont entre l’esprit et le corps, ses recherches aident à comprendre combien ce dialogue se fait dans l’intimité même de nos cellules.

Les molécules des émotions

Notre organisme est un système complexe composé de nombreux éléments. De manière à assurer sa coordination générale, il possède notamment trois grands systèmes régulateurs. Ainsi, le système nerveux, le système endocrinien et le système immunitaire opèrent afin que tout fonctionne de concert. Pour cela, un peu comme des musiciens qui lisent les mêmes notes de musique, ces systèmes utilisent les mêmes molécules, dites « de l’information », pour se parler. Ce sont à 98 % des peptides (hormones, neurotransmetteurs… etc). « Les peptides servent à réunir les organes et les systèmes du corps en un seul ensemble qui réagit aux changements internes et externes [1]», précise Candace Pert (photo ci-contre). Ces molécules sont donc essentielles au bon fonctionnement de l’organisme.

Ce qui est intéressant, c’est que ces fameuses molécules de l’information seraient précisément les mêmes molécules produites lorsque nous avons des émotions. « Les émotions créent toujours un courant spécifique de peptides dans le corps qui influencent notre biologie [2]», poursuit le Dr Pert.

Cette déclaration, étayée par les nombreuses recherches en Psycho-neuro-immunologie qui mettent en évidence une correspondance entre nos états émotionnels et la production de ces peptides, est de nouveau confirmée par le Dr Louis Teulières, un chercheur en immunologie à l’institut Pasteur. « Il est évident que chaque processus émotionnel produit un cocktail hormonal qui interagit avec l’architecture à étage des grands systèmes du corps [3]», indique-t-il. Loin d’être juste psychologiques, les émotions seraient aussi moléculaires et auraient un impact direct sur notre physiologie.

Un réseau psychosomatique

Mais alors, qui de la poule ou de l’œuf ? Les émotions créent-elles les molécules ou les molécules les émotions ? Le psychologue et philosophe William James, considéré comme le père de la psychologie américaine, élabore dès la fin du 19ème siècle une thèse selon laquelle chaque réaction corporelle produit une sensation que le cerveau perçoit comme un phénomène psychique. A l’inverse, le physiologiste Walter Cannon, dont les découvertes sur les réponses au stress et le concept d’homéostasie sont primordiales, avance au cours du 20e siècle, que les émotions produites dans le cerveau provoquent des réactions corporelles.

Candace Pert, de son coté, pense que les deux ont raison. « C’est un système fait de réponses rétroactives qui marchent dans les deux sens, nous dit-elle. Les émotions transforment littéralement l’esprit en matière, et chaque production de peptide crée de la psyché. Le corps et l’esprit sont intrinsèquement liés, dans un sens ils ne font qu’un [4]» asserte-t-elle. La chercheuse tente ainsi de penser une unité corps-esprit. Y arrive-t-elle ? Pas véritablement. Elle nous permet de penser une corrélation entre les phénomènes du corps et de l’esprit mais ces deux polarités, ne sont pas entièrement dépassées. Les émotions sont encore perçues comme un phénomène corrélatif entre la biologie d’un côté, et la psyché de l’autre. Le pas est tout de même considérable.

Ainsi, pour Candace Pert, les émotions qui sont à la fois immatérielles et matérielles, sont des messagères permettant des échanges d’informations constants entre l’esprit et le corps. « Les émotions voyagent à la fois dans le royaume de l’esprit et dans celui du corps, et permettent l’échange d’informations [5]», explique-t-elle. En produisant du relief dans notre quotidien nos émotions nous informent de la diversité de nos réactions et deviennent le support de prises de décisions. « Elles sont constamment en train de réguler ce que nous expérimentons comme étant la réalité. Une fonction des émotions est de nous permettre de décider ce à quoi nous devons prêter notre attention [6]», reprend le docteur Pert.

L’esprit et le corps : dualité, unité ou… quoi ?

 

Si le corps et l’esprit sont corrélés, qu’ils coïncident, ne pouvons-nous pas en déduire qu’ils sont véritablement un ? Le problème est qu’il apparait qu’il faille aussi expliquer une certaine « autonomie » de la conscience. Cette autonomie est notamment remise sur le tapis par les expériences de mort imminente (EMI). En effet, de nombreuses personnes ont rapporté, après avoir été cliniquement « mortes », des informations vérifiables auxquelles il était impossible qu’elles aient eu accès physiquement. Tout se passe comme si leur esprit avait voyagé sans leur corps. Ce mystère reste irrésolu. Toujours est-il que si nous voulions dépasser la dualité pour penser une unité, il faudrait qu’elle puisse englober les sorties hors du corps et une possible indépendance de l’esprit. Le challenge est de taille : une dualité classique n’est pas satisfaisante, une unité réductrice non plus.

Le Dr Mario Beauregard, chercheur en neuro-psychologie de l’université de Montréal, auteur de Les pouvoirs de la conscience, a longuement étudié les effets des expériences transcendantales sur le cerveau. Il propose une allégorie. D’après lui nous pourrions considérer notre esprit comme les physiciens quantiques considèrent les quanta. Ces unités de base de notre matière opèrent la plupart du temps sous forme d’ondes qui dans cet état, sont non localisables dans l’espace-temps. Par contre, lorsque nous les mesurons, elles deviennent des particules parfaitement localisées. Un phénomène similaire se produirait avec notre esprit. Il pourrait opérer à la fois comme une onde non localisée dans l’espace-temps et comme une particule parfaitement tangible.

« Il peut y avoir deux états de la conscience. La conscience peut opérer à la fois de manière localisée, c’est à dire de manière somatique dans le corps, ou de manière délocalisée ce qui lui donne accès à des informations hors du corps. En d’autres termes, l’esprit et le corps constituent une véritable unité psychosomatique. Mais l’esprit, qui n’est pas physique – une pensée n’a pas de masse, de volume ou de forme – peut aussi fonctionner sans substrat biologique [7]», indique le chercheur.

Cette proposition a l’avantage de réhabiliter l’intrication entre la psyché et le corps – donc de penser une unité du corps et de l’esprit dans l’espace-temps – et d’envisager que cette union n’est pas purement matérialiste, ce n’est pas la biologie qui créerait la conscience. La psyché pourrait opérer de manière non locale.

Miriam Gablier

[1] Pert Candace, Molecules of emotions, Ed Scribner, 1999

[2] Pert Candace, Molecules of emotions, Ed Scribner, 1999

[3] Teulières Louis, itw par M Gablier, Juin 2013

[4] Perth Candace, itw par M Gablier Juin 2013

[5] Perth Candace, itw par M Gablier Juin 2013

[6] Perth Candace, itw par M Gablier Juin 2013

[7] Beauregard Mario, Itw par M Gablier, Mai 2013