L’enfant révèle le blocage du parent
par Martine Migeot

 

J’accompagne des enfants en thérapie depuis 1996 et je suis toujours émerveillée de voir l’enfant révéler le blocage du parent à travers lui. Bien souvent, le père ou la mère demandent à l’enfant de savoir à sa place, là où lui ne sait pas, ne peut pas.

L’accueil et la demande

L’enfant arrive dans ma salle de thérapie habituellement accompagné par sa maman qui suit déjà une thérapie biodynamique dans 80 % des cas , le plus souvent des filles. Les âges varient entre 5 ans et 14 ans avec un pourcentage important pour ce qui concernent les filles de 10 ans.

D’emblée, je m’adresse à l’enfant en lui demandant ce qui lui arrive et qu’est ce qui fait qu’il a besoin de venir me voir. La réponse est toujours claire et précise : j’ai peur de la mort, mon père m’a abandonné, je suis trop timide et je me sens mal avec les autres enfants, j’ai peur de dormir seul, j’ai un tic avec mes yeux et je voudrais savoir pourquoi et comment le faire disparaître, je ne comprends pas pourquoi mon père ne veut pas que je dorme avec lui, je me sens seul, je fais pipi au lit et ça m’énerve…..

Je demande à la mère si elle veut parler ou rajouter des éléments. ensuite, je reste avec l’enfant et la mère nous rejoint dix minutes avant la fin de la séance. J’intègre toujours le parent mais en demandant à l’enfant quelle partie nous pouvons partager à trois et quelle partie reste confidentielle entre lui et moi.

Je reçois pendant deux ou trois séances l’enfant, puis le parent seul et pour terminer si nécessaire, je propose une séance avec le parent et l’enfant.

Le symptôme de l’enfant, révélateur de la névrose du parent

Il me semble plus judicieux d’accompagner le parent tout en soutenant l’enfant, car ce dernier exprime dans  90 % des cas un symptôme révélant une souffrance, un non-dit, une défense parentale.

C ‘est un enseignement précieux que nous donne l’enfant sur la névrose du parent ; il nous guide vers elle à travers ses manifestations psycho-corporelles.

Lucie, 8 ans et demi vient me voir parce qu’elle est handicapée par sa timidité. Après deux séances, elle demande spontanément à son père qui « l’intimidait » auparavant :

  • « étais tu timide quand tu étais petit ? »
  • « non, bien sûr que non, je n’étais pas timide » répond – il avec une fausse assurance.

Elle demande à ses grands parents si son père, petit garçon était timide. Ceux ci répondent :

  • « oui, encore plus que toi, il avait peur de tout. » ! !

Elle raconte que d’entendre ses grands parents parler ainsi de son père lui procure un grand relâchement dans le corps.

Au cours de la séance avec la maman, Lucie, avec mon soutien corporelle et ma présence, s’adresse à elle. Je lui demande où elle veut que je pose mes mains pendant qu’elle parle à sa mère. Elle demande que je mette mes deux mains sur son ventre pendant que je suis assise derrière elle. Elle lui raconte combien c’est difficile quand sa mère la pousse devant une assemblée familiale ou un groupe d’amis en lui demandant d’aller dire bonjour à tous alors quelle même n’aime pas ce moment précis et s’en protège. Lucie ne veut plus être le bouclier de sa mère. Après s’être exprimée face à face avec sa maman, Lucie fond en larmes, et la mère a beaucoup d’émotions. Alors toutes les connections se font et les souvenirs traumatiques remontent à la surface. C’est pourquoi c’est important d’accueillir la mère ensuite pour réparer tout ce qui a pu émerger grâce à Lucie.

La mère spontanément prend sa fille dans ses bras, lui demande pardon, la berce et lui dit que désormais, elle fera attention de ne pas la forcer à faire ce qu’elle même ne sait pas faire ou n’aime pas faire mais qu’elle lui fera confiance.

Dans cet exemple, nous voyons très nettement que l’enfant doit porter le père et la mère là où ils sont bloqués dans leur histoire.

Les médiations

Pour que l’enfant soit reconnu dans sa difficulté, se sente soutenu, et s’ouvre à l’expression sans se sentir obligé et sans passer par son mental, je lui propose souvent des médiations psycho-corporelles très variées telles que le jeu, le dessin, les petits objets, l’art-thérapie, les exercices du faiseur de rêve ou du faiseur de symptôme enseignés par Rainer, le conte que nous mettons en scène, le rêve éveillé guidé….Les enfants aiment particulièrement les rêves éveillés guidés, ou ce que j’appelle « partir en voyage ». Ils ont des images très nettes et des réactions végétatives importantes.

j’y associe parfois les massages en fin de séance particulièrement appréciés par les grands enfants et les jeunes adolescents.

J’ annonce toujours que nous allons former une équipe et que pour l’aider nous allons faire comme Sherlock Holmes, nous allons mener l’enquête ensemble. Si l’enfant est consentant, il est aisé de créer très rapidement un symbiose thérapeutique et un travail corporel. Si l’enfant n’est pas d’accord, s’il vient pour faire plaisir au parent, ou s’il refuse de parler, je lui laisse le choix de ne pas participer activement à la séance. Pour les petits, je parle à la maman en prenant en compte l’enfant dans la pièce qui écoute de toutes ses oreilles.

Joris, 5 ans, est amené par sa mère. Il a des accès de violence envers elle chaque fois qu’il rentre de week end passé avec le père violent et abandonique. Il ne veut pas retirer son gros anorak alors qu’il fait chaud dans la pièce. La mère insiste pour qu’il l’enlève. Je lui dit : « tu peux le garder tant que c’est bien pour toi. » Il se cache dans un coin de la pièce et tourne le dos. J’échange avec la maman en lui disant que Joris n’est pas violent mais qu’il dit à sa façon quelque chose qu’il ne peut pas dire avec les mots. A ce moment, il se retourne, enlève son anorak,, se met sur le matelas et joue avec les objets que j’ai posé dans une boîte. Nous pouvons observer de suite un relâchement musculaire important dans sa gestuelle. L’enfant s’est senti entendu.

Coline, 6 ans ne grandit pas, elle est hypertonique et hyper-active. Sa mère refuse qu’on lui injecte des hormones de croissance . L’enfant me dit qu’elle ne grandit pas car elle ne peut pas s’endormir le soir, elle est trop serrée dans son corps pour que les hormones soient gentilles avec elle. La mère parle de la césarienne pour la naissance de l’enfant comme d’une faute.

Je vois pendant trois séances Colline. Avec le jeu, elle éprouve son corps, le ressent différemment et elle raconte bientôt ses blocages et ses peurs. Ces jeux préparent également une dernière séance où je propose de faire revivre la naissance à Coline en présence de sa mère.

Pour le moment, nous jouons toutes les deux à la crêpre dans la poêle, à la plume sur les flots, au tigre très en colère, à la girafe au grand cou enfermée dans une cage …j’imite aussi la plume, la crêpe et la girafe…et je lui demande comment se sent la girafe ou la crêpe. Elle répond par des petites phrases telles que la crêpe est toute molle et a envie de dormir…elle fait maintenant la différence entre contractions et décontractions. Puis nous installons toutes les deux une famille ours dans une grotte et les parents ours se battent, se séparent, divorcent. Le bébé ourson se blottit au fond de la grotte, il a très peur d’aller au lit. Coline imite le bébé ourson et dit que quand elle va au lit, elle a peur, pareil, ça lui rappelle l’histoire de ses parents. Alors nous allons inventer toutes les deux une histoire heureuse pour ce bébé ourson pour qu’il aille au lit très relaxé, et Coline de l’imiter et de bien dormir le soir depuis cette séance.

Pour la séance de la naissance, j’installe la fillette dans une couverture, les pieds contre le mur, en position fœtale. Elle dit vouloir jouer à être le bébé ourson qui naît. Comme elle est de très petite taille, je n’utilise pas mes jambes pour le passage à l’extérieur mais mon bras replié devant lequel la maman attend. Quand Coline commence à vouloir sortir de la couverture, elle est accueillie par les mains de sa maman , ses yeux émus et sa voix douce. Je les laisse un moment seules, et leur regard, leur rire racontent quelque chose de nouveau, comme si elles se découvraient pour la première fois. Quelques mois plus tard, la mère de Coline me téléphone,, ravie. Sa fille dort bien, et sa courbe de croissance a repris doucement.

Le rôle éducatif

L’enfant arrive avec ses croyances et ses symptômes, il est donc important de faire le tri. Cette part de soutien du parent dans l’éducatif peut être particulièrement réparateur pour l’enfant. Car cela se vit dans un espace neutre.

Dans ce cas, je propose d’abord une séance avec l’enfant puis nous observons comment il se débrouille avec les nouvelles données. Dans la plupart des cas c’est suffisant.

Gaëlle, 9 ans, ne comprend pas pourquoi son père pose des limites quand elle a des comportements dangereux.

Sa mère l’amène en la décrivant colérique et exigeante envers tous les membres de la famille.

Je reste avec Gaëlle et je lui propose des exercices sur les limites, le territoire et je prends du temps pour lui parler en face à face. Je lui explique pourquoi c’est nécessaire que le père donne des limites, et que c’est son rôle. Je lui montre en tournant une feuille en papier vers le bas comment c’est pour elle si elle n’avait pas de limites, et en retournant les deux pans de la feuille vers le haut comment il est sécurisant de grandir avec cette attention du père et sa nécessité de l’arrêter quand elle exagère .

La forme ronde représente l’enfant et l’arc représente la feuille de papier symbolisant les limites parentales.

L’enfant, de lui même, s’aperçoit qu’il peut glisser, tomber, il cherche les limites d’une autre façon. A partir de là, Gaëlle me dit : « quand mon père dira non, je repenserai à ta feuille en papier. Et ça sera plus facile d’accepter. Plus tard, je ferai comme je voudrais ! »

Le thème est vaste et je pourrais vous en parler longuement. Mais pour résumer ce petit écrit d’aujourd’hui, l’accompagnement de l’enfant diffère totalement de celui de l’adulte. Nous ne pouvons pas toucher l’enfant de la même façon et l’approche thérapeutique se passe parfois en ellipse. La créativité de l’enfant nous emmène sur des possibilités très riches au niveau des outils. Leurs sens sont en éveil et toutes médiations nouvelles sont les bienvenues pour ouvrir, explorer leurs mondes riches en imaginaire, en sensations et en émotions.

 Martine Migeot

Article paru dans le Canard Biodynamique de décembre 2009. Acheter le numéro ici