Statut des psychothérapeutes : faut-il rester à la marge ?

Marc Brami représentait l’APPB au 16e congrès de l’EABP (European Association for Body Psychotherapy) en septembre dernier à Berlin. Il est intervenu en clôture du congrès sur la question du statut des psychothérapeutes en Europe.
C’est le président de notre association, Philippe Maffre, qui m’a permis d’intervenir dans la table ronde clôturant le Congrès de l’EABP qui s’est tenu à Berlin du 6 au 9 septembre 2018. Il avait été invité à y participer par Manfred Thielen, l’un des membres du comité organisateur, mais ne pouvait honorer l’invitation du fait d’un stage dans le cadre de son assistanat à l’Ecole Biodynamique.

Dans ce qui suit, je partage avec vous ce que j’ai essayé de dire, plus ou moins adroitement, et avec plus ou moins de succès ; et, aussi, ce que j’ai senti, à tort ou à raison, de la manière dont ces quelques idées ont été reçues.

Je partageais le micro avec Kathrin Stauffer, une collègue biodynamicienne suisse exerçant à Londres ; Maurizio Stupiggia, psychologue italien, qui lui-même remplaçait son collègue Alessandro Fanuli, souffrant ; et Ulfried Geuter, psychologue et universitaire (le « local de l’étape », puisqu’il a exercé à la Freie Universität de Berlin, qui nous accueillait pour ce congrès). La table ronde était « modérée » par Manfred Thielen.

Son thème tournait autour de quatre questions assez générales, ayant trait au statut des psychothérapeutes dans nos pays respectifs, à la position particulière des thérapies psycho-corporelles, et aux réponses que celles-ci peuvent offrir aux nouveaux défis de notre monde moderne (ou « post-moderne »). Cliniquement, mes collègues plus expérimentés s’accordent en effet sur la multiplication des pathologies narcissiques, borderline, ou du burn-out et de ses formes associées (bore-out, burn-in, et toutes les variantes imaginables, tant les travailleurs peuvent se montrer créatifs pour s’adapter, au risque de leur santé, aux besoins d’une société qui ne se préoccupe pas toujours tellement des leurs).

Nous avions chacun huit minutes pour présenter notre position sur ces thèmes, avant de pouvoir répondre aux questions additionnelles de Manfred Thielen et du public.

La table ronde suivait immédiatement la conférence de Manfred, ce qui m’avait permis d’emblée (j’étais le premier à présenter mon point de vue) de présenter mon premier « message » en pointant au passage un paradoxe criant que je relevais dans un discours qui me semble très répandu dans notre champ, et dont il venait de me fournir un exemple.

Le préalable de ce discours, que Manfred axait, pour sa part, sur une lecture Marxiste du monde, affirme le caractère « aliénant » de notre société – et sur ce point, j’abonde dans son sens. Là où se situe d’après moi le paradoxe, c’est que certains (et c’était le cas ici) insistent pourtant ensuite sur la nécessité quasiment morale de parvenir à ce que les psychothérapeutes, et plus particulièrement les thérapeutes psycho-corporels, fussent reconnus par les pouvoirs publics comme des praticiens valables. La logique est compréhensible : qui dit reconnaissance dit – dans un monde idéal – accès de tous à des soins adéquats et remboursement de ces soins par les organismes qui s’occupent de rembourser ces choses-là.

Cette logique n’est compréhensible, du moins, que si l’on oublie le préalable « Marxiste » : si notre société est par nature aliénante, comment espérer qu’elle mette en place, ou permette l’existence, d’une activité qui cherche à rompre cette aliénation ?

Pour le dire autrement, et en faisant de nombreux raccourcis (mais pas forcément de manière caricaturale pour autant) : ne demande-t-on pas, au nom de principes somme toute reichiens, d’être reconnus par ceux qui ont tué Reich ?


Pratiquer ou ne pas pratiquer (la psychothérapie en France)

Ma première proposition, donc, aurait pu se résumer ainsi : si l’on reprend l’historique de l’évolution du statut des psychothérapeutes en France, j’ai tendance à penser que la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est finalement assez confortable.

Rappel des faits : depuis qu’est entrée en vigueur la loi de 2004 et son article 52 (issu de l’amendement initialement présenté par Bernard Accoyer, médecin ORL et, à l’époque, député UMP), ne peuvent utiliser l’appellation « psychothérapeute » – sans autre démarche à effectuer – que les psychiatres et psychologues. D’autres (principalement les médecins non psychiatres et les psychanalystes) doivent effectuer une formation complémentaire en « psychopathologie clinique » (pas en psychothérapie ? Non, ne soyons pas naïfs…), et, éventuellement, un stage pratique. Je ne m’étendrai pas sur les nombreuses remarques qu’appelle cette situation, pour me concentrer sur ce qui me semble être la principale : désormais les seuls à ne pas pouvoir se déclarer psychothérapeutes sont justement ceux qui sont spécifiquement formés à la psychothérapie (sauf à faire partie d’une des catégories ci-dessus, donc).

J’ajouterai tout de même deux autres remarques, en ne dissimulant pas un instant l’ironie qui est la mienne en les énonçant.

  • Premièrement, suite à l’adoption de la loi de 2004, il aura fallu 7 ans pour parvenir à ce qu’elle entre en vigueur. J’ignore les délais habituels dans ce domaine, mais il me semble que l’on aurait tout de même pu s’attendre à ce que la rédaction des décrets d’application soit exécutée avec un minimum de compétence. Or la publication de la première mouture (car il y en eut deux à quelques semaines d’intervalle) avait déclenché une hostilité légitime venue de plusieurs côtés. D’une part, mais on s’y attendait, avaient râlé copieusement les supposés charlatans dont le parlement essayait, justement, de se débarrasser (les psychothérapeutes ni médecins ni psychologues, etc.). Mais plus encore, la foudre était venue des organisations de psychologues. Celles-ci avaient rapidement trouvé le moyen de renvoyer le législateur, penaud, à son écritoire, en lui faisant remarquer une bête erreur technique : il avait distingué deux catégories de psychologues, « cliniciens » et « non cliniciens », leur donnant des droits différents. Or, dans la loi (dont on pourrait espérer que les rédacteurs de l’Assemblée sachent la lire), il n’existe qu’un seul titre protégé : celui de psychologue, point à la ligne.
  • Deuxièmement, ce même législateur a dû, au cours des débats, reconnaître que s’il n’y avait rien de plus facile que d’interdire l’utilisation du terme « psychothérapeute », il n’y avait parallèlement rien de plus difficile que de définir la pratique de la psychothérapie en elle-même. Par conséquent, si vous n’avez pas le droit de vous dire « psychothérapeute » – et dans ce cas optez simplement pour une autre appellation, comme « psychopraticien », apparue rapidement au moment du vote de la loi de 2004 –, rien ne vous empêche par contre d’affirmer pratiquer la psychothérapie. Si vous avez la curiosité d’ouvrir les Pages Jaunes, vous y découvrirez deux entrées pour nos professions : « psychothérapeutes » (qui incluent, donc, les psychiatres, psychologues, etc.), et « psychothérapie (soin hors d’un cadre réglementé) » (où se concentrent les autres). C’était initialement une proposition de l’entreprise Pages Jaunes elle-même, qui considérait que « psychopraticien » n’était pas assez connu du grand public…

Inutile de dire que nos autorités de tutelle trouvent le tour de passe-passe moyennement drôle, mais il reste, pour l’instant, légalement inattaquable[1].

Comment tout ceci vient-il contrer les arguments de ceux de nos collègues qui appellent de leurs vœux une reconnaissance publique de nos professions ? Si nous considérons être compétents, n’est-il pas possible, en effet, d’admettre qu’il est judicieux de s’assurer – même si en l’espèce la méthode adoptée n’était visiblement pas la bonne – que la santé mentale de nos concitoyens ne puisse être confiée qu’à des professionnels compétents ?

Si l’on élargit l’examen de l’historique des professions de la santé mentale en France, on constatera pourtant que les décisions prises depuis près d’un siècle ont toujours été axées sur un but : réduire de plus en plus la possibilité des non-psychiatres d’avoir le moindre rôle dans ce domaine, ou au plus un rôle d’auxiliaire médical. La pratique de la psychothérapie, particulièrement, a fait l’objet d’une « convoitise » assez malsaine. Et même si les psychologues ont, cette fois-ci, réussi à « sauver leur peau », leur statut est routinièrement attaqué, lui aussi. Si – en France au moins – les psychologues sont supposés avoir un statut assez à part dans le champ sanitaire, dans un grand nombre d’institutions faire respecter ce statut est pour eux un combat de tous les jours : ils ne sont effectivement pas considérés par la loi comme personnel paramédical, mais sont fréquemment « traités » comme tels, peinant à faire respecter leur indépendance, pourtant statutaire, du corps médical.

Par conséquent, pouvons-nous[2] vraiment espérer, alors que nous ne pouvons faire valoir comme gage de nos compétences que des formations privées, reconnues presque uniquement par des gens qui se trouvent dans la même situation, que subitement les pouvoirs publics vont nous offrir un statut équivalent à ceux qui ont donné (hypocritement ou pas !) tous les gages du respect des codes de « professionnalisation » de la société ?

Sans vouloir me montrer paranoïaque ni grandiloquent (je sais bien que le fait d’être psychiatre ou psychologue n’implique pas d’être le complice ou l’idiot utile, ni du grand « Kapital », ni d’un vaste complot impérialiste), je pense que le meilleur moyen de ne pas me retrouver à participer contre mon gré à un contrôle social que j’exècre est encore de rester relativement à la marge. Or c’est finalement là qu’on nous a relégués.

Il me semble évident que cette reconnaissance-là n’arrivera pas, ou en tout cas pas de sitôt. Les thérapeutes non-psychiatres non-psychologues vont encore longtemps continuer à payer la TVA dont sont exonérés les praticiens supposés plus sérieux. Quant à ce que les clients se fassent rembourser leurs séances par la Sécu…

La bataille autour de l’article 52 nous aura, à mon sens, prouvé au moins deux choses. Un, les pouvoirs publics n’ont aucune intention de nous reconnaître. Deux, s’ils trouvent le moyen de nous empêcher d’exercer ils le feront. J’en tire une conclusion, c’est que le statu quo actuel représente le mieux que nous puissions espérer en l’absence de changements massifs de la perception que les milieux officiels ont de nous ; et je ne crois pas que ces changements adviendront simplement parce que nous pensons être des gens très bien. Il faut encore en convaincre des détenteurs de pouvoir qui, dans l’ensemble, n’ont aucune envie de se laisser convaincre.

 

Exercer ce que nous sommes, et tout ce que nous sommes

En gardant notre liberté d’exercer, nous préservons aussi, et cela me semble tout aussi important sinon plus, notre liberté d’exercer comme nous l’entendons.

J’ai été frappé, suite à l’exposé rapide de cette idée à mes collègues, de la sentir rejetée de manière polie mais ferme.

La réponse de mon confrère italien m’a particulièrement intrigué. L’Italie a adopté une législation proche de la nôtre. Il affirmait, à titre personnel, que sa mise en place avait renforcé son sentiment de légitimité (je peux le croire). Et aussi, que ses patients insistaient très souvent pour voir ses diplômes et étaient très rassurés de savoir qu’il avait une formation « sérieuse » (ça ne m’est jamais arrivé – je précise de nouveau – voir note précédente – que je suis également psychologue et que rares sont les clients qui font vraiment et précisément la différence entre les différentes catégories de « psy » de toute façon).

Il précisait toutefois que de nombreux praticiens moins « officiels » sont tout à fait sérieux. Il a alors partagé une anecdote qui m’a semblé très clairement, pourtant, appuyer mon point de vue. Un de ses amis avait eu les pires déboires avec les autorités, qui l’accusaient de faire des promesses malhonnêtes à ses clients potentiels, via son site Internet, en s’appuyant sur des concepts pseudo-scientifiques.

C’était un Reichien, faut-il le préciser ?

… TOUT ce que nous sommes !

Je crains donc que cette reconnaissance soit impossible ; mais qu’en plus, si nous l’obtenions malgré tout, ce serait au prix de l’abandon de toutes les bases conceptuelles, philosophiques et pratiques de nos méthodes.

Les preuves n’en ont pas manqué au cours de ce Congrès, d’après moi. La plus emblématique ? Une allusion de Will Davis (que certains auront croisé au Colloque Biodynamique 2017), qui, au cours d’une table ronde, signalait ironiquement qu’on lui avait interdit l’utilisation du « E-word ». Il n’avait alors pas donné de précision, mais je crois – et je crains ! – qu’il fallait comprendre là Energy ! Certes, le grand New-Yorkais a un humour quelque peu corrosif, mais je doute qu’il ne se soit agi que d’une boutade ; je crois plutôt à une petite pique envers certains de ses collègues…

Le choix de l’expression « X-word » est saisissant : elle désigne dans les pays anglo-saxons des mots (commençant par « X », donc) supposés tellement grossiers ou offensants que la personne n’oserait pas les prononcer ouvertement.

Le mot « énergie » serait donc devenu une grossièreté chez les disciples de Reich ?

Je m’en serais voulu de ne pas faire la remarque, et je me suis aussi permis de noter que dans ce congrès une autre grossièreté avait été largement évitée : le mot « spiritualité ». Par contre, il y a eu énormément de mentions de la notion de « Flow », qui décrit des états assez hors du commun (liés par exemple à l’immersion totale dans une activité), dont certains pourraient être perçus comme relevant de la spiritualité. Depuis les travaux de Mihály Csíkszentmihályi, dont la collaboratrice Jeanne Nakamura était présente à Berlin, c’est une notion admissible, voire à la mode, dans le monde de la psychologie scientifique.

Donc pour résumer : le flow c’est oui, mais l’extase c’est non, et les courants libidinaux c’est « jamais de la vie ! », semble-t-il.

Simple question de vocabulaire, ou reniement pur et simple ?

 

Validation scientifique : prouver notre efficacité, mais seulement « là où on nous dit de faire »

J’ai aussi essayé d’enfoncer un ou deux autres clous qui me tiennent à cœur (même si je n’ai pas pu développer tout ce que je présente ici). Toujours dans le même ordre d’idée, qu’il « semblerait » logique que nous soyons reconnus si nous pouvons prouver que ce que nous faisons tient la route, nombreux sont ceux qui pensent que ce que nous faisons devrait être validé scientifiquement.

Il y a deux voies pour ce faire. L’une est d’effectuer des études confirmant directement l’efficacité de nos thérapies. L’autre est d’expliciter les mécanismes par lesquels nous pensons que ce que nous faisons fonctionne ; s’il semble logique que « ça doit marcher », on doute moins du fait que « ça marche » (même si en fait « ça ne marche pas » !). Les méthodes reposant sur l’idée d’une « énergie » tangible circulant dans le corps ne sont pas reconnues pour la simple raison que l’existence d’une telle énergie n’est pas reconnue de manière suffisamment large. A l’inverse, et pour ne prendre qu’un des (très) nombreux exemples émaillant l’histoire des sciences, le scorbut a longtemps été considéré par certains comme infectieux parce que les observations semblaient « coller » avec cette idée, et que Pasteur était passé par là : c’était donc une explication valable, bien que totalement fausse (il est le résultat d’une carence massive en Vitamine C).

La question de la preuve de l’efficacité des psychothérapies peut sembler simple, elle est en fait tout sauf cela. Une des raisons principales en est, et un certain nombre de remarques ont été faites dans ce sens lors de cette table ronde, que les TCC (thérapies cognitives et comportementales) ont dans de nombreux pays gagné la « guerre » des thérapies. Elles en sont devenues l’étalon-or, avec un inconvénient majeur : les autres thérapies leur sont comparées automatiquement dans leurs termes à elles.

Tous les modèles de thérapies ont une vision de l’humain qui guide leur théorie et leur pratique, et donc l’(auto-)évaluation qu’elles font de leur efficacité est basée sur cette vision. Par exemple, les thérapeutes cognitivistes évaluent souvent la dépression, et donc leurs résultats thérapeutiques, via l’échelle de Beck. Celle-ci est basée sur les concepts autour desquels les thérapies cognitives sont construites (Aaron Beck étant pour ces thérapies ce que Reich est pour les nôtres). Si vous pratiquez une autre méthode, il n’est pas certain que les résultats que vous obtiendrez – fussent-ils excellents – seront mis en évidence par ce test. La comparaison des méthodes est donc biaisée par l’utilisation d’un test qui n’est pas forcément pertinent pour toutes. Diverses études mettent bien en doute l’efficacité des thérapies cognitives, mais sans jusqu’ici les désarçonner de leur position dominante ; elles sont maintenant trop installées dans les paysages clinique et universitaire – comme l’était la psychanalyse trente ans auparavant.

On peut déplorer que ne soient considérés, dans les hautes sphères médico-scientifico-politiques, que les représentants de certaines modalités thérapeutiques. On peut se battre pour prendre la place de cette « élite », ou au moins être admis à la fête à défaut d’en être les invités d’honneur. Ou bien, on peut économiser son énergie, faire son travail, et aider ses patients… Et peut-être espérer que les psychiatres et psychologues qui évoluent dans notre monde appuient les efforts de leurs collègues dépourvus de l’estampille étatique, afin que nous puissions apporter à la société les spécificités qui sont les nôtres, et qui sont authentiquement précieuses.

Ou bien encore, si nous acceptons l’idée de l’évaluation (ce qui ne me semble pas devoir aller de soi), alors explicitons nos résultats et trouvons quelles « mesures » permettront de les montrer au monde ; si nous nous laissons dicter par d’autres ce que nous sommes censés observer nous sommes perdants d’avance. Personne ne nous fera de cadeau, il me semble l’avoir montré plus haut.

Une preuve que nous ne pouvons espérer être reconnus simplement sur la base de nos qualités propres ? J’en relève une dans une autre réflexion de Maurizio Stupiggia, qui, faisant allusion à la mode actuelle de la Mindfulness (la désormais omniprésente « méditation de pleine conscience »), faisait remarquer que « nous faisons ça depuis longtemps ! ». C’est vrai, mais qui en a fait une pratique admise, qui l’a sortie des cercles New Age pour la rendre « sérieuse », « validée scientifiquement » ? Des universitaires bien implantés dans le paradigme neuro-cognitiviste. Et qui a récupéré cette pratique ? Les pontes des thérapies cognitives. La méditation n’est pourtant pas plus un outil cognitif qu’un outil psycho-corporel (plutôt moins, d’ailleurs) ; alors pourquoi ces brillants universitaires, au moment de valider cet outil, ne sont-ils pas venus trouver les spécialistes de la question ? Peut-être, simplement, parce que lesdits spécialistes n’évoluent pas dans les bonnes sphères. Si demain le massage est enfin reconnu comme outil psychothérapeutique, il est alors peut-être un peu naïf de s’imaginer que les instances scientifiques viendront nous demander conseil, à nous.

Par contre, je suis prêt à parier que Christophe André sera consulté, lui.

 

Validation scientifique : des neurones sinon rien !

Par ailleurs, sur la question des mécanismes d’action de nos méthodes, il me paraît étonnant de n’entendre parler, encore et toujours, que des neurosciences.

Petit rappel historique, à titre de comparaison. En 1990 était lancé le Human Genome Project, destiné à décoder le génome de notre espèce. Durant toutes les années 90 et au-delà, les promesses s’accumulaient ; dans quelques années on comprendrait tout de l’humain, via le décodage de son ADN et des 100 000 gènes, estimait-on à l’époque, qui nous « programment » ; et cette colossale recherche déboucherait évidemment sur des traitements adaptés pour tous les troubles qui nous affectent, des ongles incarnés aux divers cancers.

Etrangement, c’est seulement à l’achèvement de ce décodage en 2003 que l’on apprit qu’en réalité notre biologie n’était finalement gérée « que » par une vingtaine de milliers de gènes (il n’aurait pas fallu décevoir les financeurs avant d’avoir fini le job, sans doute). Et les progrès qui en ont découlé ont été, pour le moins, décevants.

Les neurosciences, champ par ailleurs passionnant, sera pourtant, je le parie, la prochaine déception de ce type. Je me rappelle encore les remarques d’une de mes maîtres de conférences à l’université. Spécialiste de l’imagerie cérébrale, elle avait l’honnêteté d’accompagner toutes ses explications de mises en garde quant à leur validité. Elle reconnaissait par exemple que les études d’imagerie qu’elle pratiquait elle-même faisaient généralement appel au type de public auquel elle avait le plus facilement accès, à savoir des étudiants en psychologie. Cela peut sembler anodin, mais il s’agit pourtant d’un biais majeur : comment, en effet, peut-on être sûr que certains aspects de la physiologie cérébrale de ceux-ci ne diffèrent pas significativement de la moyenne (pour peu qu’ils soient plus empathiques que le clampin moyen, par exemple, et que cela se traduise structurellement, ou fonctionnellement) ? Plus généralement, on sait en outre que les résultats de ce type d’études sont, encore plus souvent que dans d’autres domaines, contradictoires, difficiles à répliquer, ou à interpréter.

Et quand bien même les résultats seraient plus solides… le discours actuel autour des neurosciences rappelle bel et bien celui de la génétique des années 90 : demain on rasera gratis. On ne peut en vouloir aux chercheurs, qui dans leur immense majorité sont sincères et manquent spectaculairement de moyens. N’empêche : ne peut-on pas parler d’autre chose aussi ?

Personnellement, je ne connais qu’une théorie réellement solide et nouvelle qui précise significativement notre vision du fonctionnement neurologique humain, et s’applique pleinement à notre champ : la théorie polyvagale de Stephen Porges. Et encore, il me semble qu’elle offre un raffinement possible de nos méthodes, et une voie pour faciliter la formation des thérapeutes et leur compréhension des phénomènes somato-psychiques qu’ils observent, plutôt qu’une révolution. Je veux dire par là qu’un thérapeute suffisamment observateur peut par exemple remarquer que son patient détourne le regard à certains moments de la séance et en inférer qu’il est en stress et essaie de s’auto-réguler, sans pour autant savoir (ni avoir besoin de savoir !) que cela peut indiquer une sortie significative du mode parasympathique dit « ventral », dans la terminologie de Porges.

En tout cas, et que l’on partage ou non ma méfiance envers l’hégémonie des neurosciences, une chose me paraît évidente : nos thérapies sont justement celles qui mettent le plus l’accent sur autre chose que le cerveau, le mental, l’intellect. Il est donc alors particulièrement étrange de ne parler que de neurosciences dès que nous prétendons essayer d’expliciter nos modes d’action. Si l’on veut vraiment éviter d’être grossier on s’interdira peut-être de parler d’énergie, c’est entendu ; mais par exemple on pourra, sans choquer les oreilles sensibles, s’intéresser aux phénomènes électriques dans le corps (toujours à la suite de Reich d’ailleurs, ou plus encore à celle de Robert Becker – voir ses excellents ouvrages « The Body Electric » et « Cross Currents ») – en dehors, justement, du système nerveux, où ils sont plutôt bien connus. Les tissus conjonctifs ont par exemple des propriétés semi-conductrices, les os des propriétés piézo-électriques ; la distribution des gradients de tension électrique dans le corps ressemblent tellement à ce que l’on comprend des circulations énergétiques qui le parcourent qu’il paraîtrait étonnant qu’il n’y ait aucun lien entre les deux classes de phénomènes (même si Reich insistait sur le fait qu’ils ne sont pas pour autant la même chose). Ou bien, si l’on veut s’intéresser à tout prix au système nerveux, pourquoi ne pas évoquer plus souvent deux des « autres » cerveaux, le plexus cardiaque et (je ne surprendrai personne dans mon lectorat probable) le système nerveux entérique ? Bref, pourquoi, là encore, paraissons-nous évacuer de notre discours tout ce qui, justement, fait notre spécificité ?

Oublions ce que nous sommes, et un jour ou l’autre nous pourrions disparaître bel et bien du paysage psychothérapeutique. Et Bernard Accoyer n’y sera pour rien, cette fois.

Marc Brami

[1] Au moment de finaliser ce texte, je me retrouve à devoir réviser ce point : au cours de la récente AG de la FF2P, fédération dont sont membres tant l’APPB que l’EPBE, j’ai appris qu’en réalité, trois A.R.S. (Agence Régionale de Santé) s’étaient dernièrement permises de faire pression sur des psychopraticiens qui avaient osé apposer une plaque portant la mention « cabinet de psychothérapie » ; et que, suite à une question posée à l’Assemblée Nationale à la ministre du travail sur demande de la FF2P – qui cherche à obtenir pour les psychopraticiens un code APE spécifique, ce qui pour l’instant a été refusé –, il a été répondu en substance qu’il ne pouvait y avoir deux professions pratiquant la même activité. Donc non, pour nos gouvernants, il semble que nous n’ayons même pas le droit de prétendre pratiquer la psychothérapie – même si ce point reste sûrement très discutable juridiquement, mais il semble que l’époque soit à ce que certains s’estiment en droit de s’asseoir sur le droit. Par conséquent, soit effectivement il faut continuer à revendiquer cette « reconnaissance », ce que fait la FF2P, soit il faut, comme c’est, je le crois, en Suisse, changer le nom de ce que nous faisons. Le choix est donc à l’esquive ou au combat frontal contre un système quelque peu pervers.

 

[2] A ce stade, il me semble important de préciser que je suis moi-même psychologue, même si j’écris là en tant que « thérapeute psycho-corporel ». J’anticipe sur la suite de mon raisonnement : c’est parce que les pouvoirs publics traînent les pieds, de manière démontrable et depuis près d’un siècle, pour reconnaître les psychologues, qu’il me semble naïf d’espérer qu’ils reconnaîtront un jour des praticiens formés dans des organismes qui seront toujours moins « officiels » qu’une université. C’est la raison pour laquelle, même si à titre personnel la question de la reconnaissance en tant que thérapeute psycho-corporel ne se pose pas pour moi et que je n’ai donc rien à perdre ni à gagner, a priori, dans cette bataille pour la reconnaissance, j’insiste sur l’idée que « nous » sommes mieux là où « nous » sommes.